Rencontre hors du temps entre Norman Doidge et Alfred Tomatis

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C’est l’histoire d’une incroyable machine aux pouvoirs insoupçonnés jusqu’ici. L’histoire d’une machine dont les capacités dépasseraient tout ce que l’imaginaire collectif s’était représenté à son sujet. L’histoire d’une machine en constante évolution et qui possèderait en elle les ressources nécessaires à son perfectionnement et à sa guérison. L’histoire du cerveau.

Cette incroyable capacité du cerveau à se transformer continuellement, Norman Doidge nous la décrit sous le nom de « neuroplasticité ». Dans son livre Guérir grâce à la neuroplasticité, le célèbre psychiatre, psychanalyste et chercheur nord-américain revient sur cette « faculté qui permet au cerveau de modifier sa propre structure et son fonctionnement en réaction à l’activité et à l’expérience mentale. »

Le caractère malléable du cerveau lui vient de ses neurones qui, par leur propre structure, sont capables de créer de nouvelles connexions entre eux par un échange d’impulsions électriques. Or c’est justement en provoquant des nouvelles communications entre ces neurones, qu’il serait possible d’activer des zones spécifiques du cerveau et de développer ses capacités. Alors comment y parvient-on ? Les connexions neuronales sont déclenchées par les « énergies » des sons, de la lumière, des mouvements, des vibrations… qui nous viennent directement de nos sens. Un constat qui peut paraître banal tant nous en sommes quotidiennement assaillis !

Parce qu’ils n’avaient pas la charge de prouver l’existence de la plasticité, [ces plasticiens parmi lesquels figure Alfred Tomatis] ont pu consacrer toute leur énergie à la compréhension et l’exploitation de ses merveilleux pouvoirs. Norman Doidge
L’enjeu des approches neuroplastiques consiste alors à travailler sur ces énergies selon un protocole rigoureux et méthodique pour susciter ces connexions neuronales. A terme, ce travail entrainerait le cerveau et permettrait d’obtenir de lui d’incroyables résultats, notamment dans le domaine de la guérison. Norman Doidge revient ainsi sur ces pathologies que la neuroplasticité a soignées : des personnes souffrant de douleurs chroniques, de déficit de l’attention, de troubles de l’apprentissage… plus inattendus encore : des autistes, des malades de Parkinson ou encore des personnes ayant subi des accidents vasculaires cérébraux.

Le protocole mis en œuvre rompt avec une vision traditionnelle de la médecine dans laquelle le patient est passif face à sa maladie et ne doit attribuer sa guérison qu’à l’action des traitements médicamenteux. Inversant ce jeu de rôles, les techniques neuroplastiques décrites par Norman Doidge impliquent l’individu dans un processus actif et volontaire de guérison, réconciliant ainsi le cerveau humain avec le corps qui l’héberge.

Enfin, dernier aspect capital de ces techniques : elles sont naturelles et non-invasives. Mais ici le terme « naturel » n’est en rien synonyme de ses acolytes « ordinaire », « inné » ou « spontanée.

Les protocoles appliqués dans ces techniques ne laissent rien au hasard. Au contraire, ils sont les fruits d’années de recherches scientifiques. Norman Doidge revient ainsi sur « une deuxième génération de neuroplasticiens qui, parce qu’ils n’avaient pas la charge de prouver l’existence de la plasticité, ont pu consacrer toute leur énergie à la compréhension et l’exploitation de ses merveilleux pouvoirs. » En somme, tous ces neuroplasticiens qui ont fait l’expérience de la neuroplasticité sans le savoir.

Parmi eux, Alfred Tomatis, figure d’avant-garde de la neuroplasticité, qui a mis au point une méthode de stimulation sonore et a affirmé que le cerveau était malléable avant même que la neuroplasticité ne soit adoubée par la communauté scientifique. (D’ailleurs mon correcteur automatique d’orthographe ne reconnaît toujours pas ce mot. Quelqu’un pourrait-il informer Microsoft que le terme « neuroplasticité » a fait son entrée dans le dictionnaire en 2012 ?)

Norman Doidge revient donc sur le cheminement d’Alfred Tomatis qui l’a conduit, de fil en aiguille, à ses multiples découvertes. Alfred Tomatis est un médecin chercheur ORL français, né en 1919 et mort en 2001. Fils d’un chanteur lyrique, passionné par la relation oreille-voix-psyché, Alfred Tomatis a consacré sa vie à l’étude et à la compréhension des mécanismes de l’écoute. La première de ses découvertes est la corrélation entre l’écoute et la voix, qui lui fait dire cette phrase devenue célèbre « la voix ne peut émettre que ce que l’oreille entend ». Il met alors au point un système de rééducation de la voix, appelé « Oreille électronique » et consistant à favoriser une écoute idéale chez ses clients. Il se rend ensuite compte que non seulement les résultats produits sont durables mais qu’ils dépassent largement ses attentes : ce travail audio-vocal dynamise ses clients et les rend même euphoriques ! C’est à ce moment-là qu’il comprend que sa technique est une forme d’entrainement cérébral.

neuroplasticité-norman-doidge-tomatisIl observe l’action de l’écoute sur l’ensemble du corps : la verticalité, le dynamisme et l’équilibre. Il s’intéresse ensuite aux langues étrangères : « était-il possible que les accents soient eux aussi, en rapport avec les fréquences reçues ? » Il constate alors des progrès dans l’apprentissage des langues étrangères s’accompagnent de progrès dans le langage et l’apprentissage en général. Ses découvertes ne concernent plus seulement les adultes, mais peuvent aussi aider les enfants atteints de troubles sévères ou handicapés…

C’est finalement cette incroyable plasticité du cerveau, dont il ignore alors le nom mais ressent les effets sur ses clients, qui l’a conduit à étendre les domaines d’application de sa Méthode. Elle lui ouvre le champ des possibles. Et à ses clients la voie de la guérison.

Pour un grand nombre de clients, la Méthode Tomatis® s’est avérée salutaire à une époque où les problèmes cérébraux restaient incompris et où la médecine traditionnelle classique pratiquait des diagnostics fatalistes. Parmi eux, Paul Madaule, enfant dyslexique, cumulant les échecs scolaires et peinant dans ses débuts dans la vie. Sa rencontre avec Alfred Tomatis à l’âge de ses dix-huit ans, va changer sa vie puisque le médecin va « recâbler le cerveau » du jeune homme et lui donner les clés de sa confiance en lui. Cette rencontre sera également déterminante dans sa vocation future : lui aussi voudra aider les autres en pratiquant la Méthode Tomatis®. C’est ce qu’il fera à Toronto, permettant à de jeunes petits patients de bénéficier de la Méthode à leur tour.

Le cas de Will est sans doute le témoignage le plus bouleversant du récit de Norman Doidge. Ce grand prématuré eut des premières années cauchemardesques, passant plus de 60% de son temps à l’hôpital pour cause d’infections répétées. Il attrapa une pneumonie, le virus de la grippe porcine, fut opéré d’une hernie et perdit un rein. A quinze mois, il vécut un épisode traumatisant à l’hôpital, à la suite duquel il se mura dans le silence. Il ne prononça plus un mot et sa personnalité changea. Ses parents consultèrent un spécialiste du développement qui affirma qu’à treize ans, Will « aurait probablement l’âge mental d’un enfant de deux ans. »

Il a trois ans lorsque ses parents viennent consulter Paul. Il ne fait pas ses nuits, s’alimente difficilement, présente de nombreuses manifestations d’un retard de développement et est constamment agité. Les résultats des sessions d’écoute furent comparables à ceux d’une renaissance. Les parents de Will eurent l’impression que Will en ressentait les bienfaits presque instantanément. Il réapprit à dormir et à canaliser son énergie. C’est une renaissance au sens littéral du terme qui s’accomplit, si l’on considère les effets obtenus avec la voix maternelle. Cette voix maternelle filtrée est « identique à celle qu’elle était dans le sanctuaire de l’utérus avant que ne surgissent les problèmes de la vie ». Elle a donc le pouvoir de reconnecter l’enfant avec son paradis perdu. Ce travail eut pour résultat d’établir un contact plus profond entre la mère et son enfant. Norman Doidge explique que de nombreux enfants en souffrance considèrent la figure de la mère comme responsable de leur douleur. Et la mère de Will en faisait la triste expérience. A la suite des sessions d’écoute avec la voix maternelle, elle sentit que la colère de son enfant vis-à-vis d’elle avait diminué.

Will apprit à parler, à jouer, à dormir, à apaiser ses angoisses qui le conduisaient autrefois à se mordre jusqu’au sang. Le travail en phase active eut de nombreux effets positifs sur son langage, ses émotions. « En dix-huit mois, avec l’aide de Paul, le développement de ses capacités langagières avait progressé de plus de quatre ans. » Aujourd’hui, Will est un petit garçon heureux et épanoui, qui a toutes les clés pour bien grandir.

Le récit de Norman Doidge est étayé de ces récits poignants, qui nous montrent à quel point la Méthode Tomatis® a le pouvoir de changer des vies, et ce dans des registres de maladies très variés. Ce fut notamment le cas de la petite Jordan Rosen, autiste, d’Erica Rinson, dyslexique, de « Gregory », un enfant présentant des TDA, des moines de l’abbaye d’En-Calcat, dépressifs, de Mirabelle, handicapée à la suite d’un accident de voiture. Ou encore de Tammy, sujette à un trouble du traitement de l’information sensorielle, qui bénéficia de la Méthode Tomatis® à l’âge de sept mois et est ainsi, à la connaissance de Norman Doidge, « la plus jeune personne au monde à avoir bénéficié d’une thérapie neuroplastique. »

La Méthode d’Alfred Tomatis est un voyage dans le corps humain qui, à partir de ce petit organe appelé « l’oreille », a amené son fondateur à explorer la voix, les pouvoirs du cerveau et de notre corps tout entier. D’un point de vue physiologique, Norman Doidge nous montre combien la stimulation sonore agit sur le sous-cortex pour atteindre et améliorer l’organisation cérébrale « du haut », c’est-à-dire les parties du cerveau responsables de nos capacités motrices, émotionnelles et cognitives. De nombreux témoignages nous rappellent à quel point les effets sont grands lorsque les troubles sont traités dès le plus jeune âge.

Norman Doidge met en relief la relation triangulaire professionnel-parent-enfant, « gagnante » dans ces processus de guérison. Et il reconnaît les mérites de chacun de ses acteurs.

Certes, il consacre une large place à Alfred Tomatis, dont il relate les incroyables découvertes. Il reconnaît ensuite le grand professionnalisme et l’humanité des professionnels formés à sa Méthode -et ils sont d’autant plus louables que la communauté médicale est souvent sceptique face aux techniques neuroplastiques. Mais il salue également le courage et la détermination des parents qui se battent pour trouver les meilleures solutions pour leurs enfants. Comme la mère du petit Will, qui s’était fait une image de « mère névrosée » parce qu’elle refusait d’admettre le diagnostic des médecins de son fils. Ou comme le jeune Paul, qui brava ses peurs pour aller à la rencontre de son destin. Enfin, il salue aussi le mérite des enfants eux-mêmes, volontaires pour suivre les protocoles des sessions d’écoute et participant ainsi au processus actif de leur guérison. « J’ai besoin d’avoir encore la musique, pour me calmer en dedans », confiera même l’un d’entre eux.

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, disait Nicolas Boileau. Et l’une des grandes qualités de l’épopée scientifique de Norman Doidge est sans doute de mettre la science à la portée de tous, grâce à des explications claires et illustrées par de nombreux cas concrets. Il faut enfin saluer l’engagement du scientifique et sa détermination à faire connaître au plus grand nombre les remarquables bienfaits de la neuroplasticité, à ouvrir la voie à de nouvelles guérisons, à de nouvelles recherches, et à tracer le chemin dans un contexte où la médecine est encore si hésitante dans ce domaine.

Norman Doidge, Guérir grâce à la neuroplasticité, Editions Belfond 2016

Du même auteur :

Norman Doidge, Les Etonnants pouvoir de transformation du cerveau. Guérir grâce à la neuroplasticité, Belfond 2008 ; Pocket 2010

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